LA VIEILLE ET LE POÊLE
Il y a quelques années vivait dans un petit village au coeur de la Lozère une pauvre vieille femme.
Pour toute richesse elle ne possédait qu’un lit de bois, une armoire et un poêle.
Cette pauvre vieille n’avait plus toute sa tête, sa mémoire s’était enfuie depuis que tous les membres de sa famille avaient disparus les uns après les autres.
Aussi son seul ami était son poêle.
Elle l’aimait comme on aime son chien et son chat. Il est vrai que ce poêle avec son chapeau plat et sa bouche ronde ressemblait à un petit lutin malicieux.
La vieille le brossait, l’astiquait et tout son maigre argent passait à le nourrir de jolis morceaux de charbon
qu’elle payait très cher pour le plaisir d’entendre son poêle ronfler de contentement.
Lorsqu’il ronflait ses joues rougissantes prenaient bonne mine et les joues de la vieille rosissaient elles aussi.
Elle encourageait son brave compagnon :
-Te voilà content tu n’as pas à te plaindre ! Ah ! Je te gâterai tu verras !
Les choses n’allaient pas toujours aussi bien, certains jours le vent refoulait dans la cheminée et le poêle fumait à grosses bouffées comme un vieux monsieur grognon et mal poli.
La vieille brandissant son tisonnier criait après l’instrument :
- C’est comme çà que tu me remercies ! Je ne te donnerai plus rien à manger !
Ainsi les mois s’écoulaient et grâce à son poêle la vieille traversait sans trop de mal les hivers rigoureux de la Lozère.
Mais un jour, peut de temps avant Noël, un évènement vint rompre la monotonie de la vie de la vieille femme, elle fut invitée à une réunion dans la maison voisine où le curé du village préparait la veillée de noël.
Elle trouva « les cantiques bien beaux » et pensa que Monsieur le Curé avait bien parlé, mais ce qu’elle ne dit à personne c’est le trouble profond où les nouvelles apportées par monsieur le Curé l’avait plongé.
On raconte bien de choses entre vieux surtout le récit des misères passées et présentes que l’on échange en branlant la tête et en écrasant une larme. Mais jamais histoire ne l’avait bouleversé à ce point, cet enfant né sur la paille dans ce village de Bethléem (tiens je ne connaissais pas ce village en Lozère !) se dit la vieille et son père ce monsieur Joseph avec sa dama Marie dire qu’ils n’ont rien pour se chauffer ni couvrir ce bébé.
Entre nous elle fut indignée de voir que tous les voisins si bien habillés ne faisaient même pas une collecte pour envoyer un peu d’argent à ces malheureux.
En bousculant son poêle elle lui faisait ses confidences.
Cette nuit là elle ne dormit pas, elle était de ces âmes simples qui souffrent plus de la misère des autres que de la leur, et dans son esprit un projet germa. Oh ce ne fut pas sans combat
intérieur car ce n’est jamais sans combat que l’homme se sépare de ce qu’il a de plus cher au monde ! Mais le lendemain sa décision était prise.
Les vieux sont secrets et n’aiment pas raconter leurs affaires. Elle ne parla à personne de son sacrifice.
Elle astiqua bien son poêle lui fit la morale pour qu’il se tienne bien et fit venir un employé de la gare de Mende qu’elle connaissait bien, celui-ci aussi peu instruit que la vieille ne chercha pas à comprendre et écrivit sous sa dictée :
« Monsieur Joseph Bethléem Lozère » et il emporta le poêle à la gare.
La vieille regarda partir son compagnon sans une larme, sans un trouble, elle était entièrement absorbée par son rêve empêcher l’enfant de Bethléem d’avoir froid….
La journée s’écoula solitaire, personne ne vint lui rendre visite, dehors un vent glacial se mit à souffler et la neige tomba.
La vieille grelottante se mit au lit et sombra dans une lourde torpeur, agitée dans son rêve elle tentait de se frayer un chemin vers l’enfant mais elle n’y parvenait pas. Sa fatigue devenait atroce, elle ne pouvait plus avancer elle grelottait de froid et d’épuisement.
Et soudain tout s’apaisa une grande lumière l’inonda, elle était bien, elle comprenait qu’elle était arrivée au but et que l’enfant n’aura plus jamais froid maintenant.
Le lendemain matin, jour de Noël, la voisine en balayant devant sa porte pour enlever la neige qui s’était accumulée la nuit découvrit que la porte de la vieille femme était ouverte et curieusement elle entra.
La vieille était morte, elle reposait glacée dans son lit mais avec une expression de bonheur intense.
Personne ne saura jamais pourquoi un sourire si doux éclairait ce visage tout ridé la rendant si belle.